Qu’est-ce qu’un Pacte Dutreil ?
Le principe posé par Renaud Dutreil est aussi simple qu’il est efficace : les transmissions par décès ou par donation de parts ou d’actions d’une société sont exonérés de droits de mutation à hauteur de 75% de leur valeur, à condition d’avoir fait l’objet d’un engagement collectif ou unilatéral de conservation préalablement à la transmission (et bien évidemment toujours en cours à la date de ladite transmission).
Les conditions :
- Société :
La société doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole, libérale ou être une holding animatrice.
- Fonction de direction par un des signataires :
L’un des associés signataires de l’engagement collectif de conservation ou l’un des donataires, héritiers ou légataires doit exercer dans la société, pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, son activité professionnelle principale s’il s’agit d’une société de personnes (visée aux articles 8 et 8 ter du CGI) ou une fonction de direction effective (gérant / Président / DG / Président du Conseil de surveillance / membre du directoire).
- Détention minimum des signataires :
Société non cotée -> 17% des droits financiers et 34% des droits de vote
Société cotée -> 10% des droits financiers et 20% des droits de vote.
Parmi les questions régulièrement posées : quid si les droits financiers sont scindés ? et quid en cas de démembrement de propriété des titres ? Ces questions attestent des subtilités que la règlementation du Pacte Dutreil n’appréhende pas toujours.
Les engagements :
- Collectif (ECC):
Les titres de la société doivent, dans un premier temps, faire l’objet d’un engagement collectif de conservation (au moins deux signataires donc) d’une durée minimale de 2 ans par le donateur ou défunt. Ce délai commence à courir à compter de l’enregistrement de l’acte le constatant. Il doit être pris par le donateur (ou le défunt), pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés.
Précision utile. Cet engagement peut dorénavant être unilatéral : les entreprises unipersonnelles sont donc également concernées par cet outil de transmission.
- Individuel (EIC):
L’engagement individuel de conservation des titres doit être pris dans la déclaration de succession ou dans l’acte de donation par les héritiers, donataires ou légataires pour une durée minimale de 4 ans. Ce délai commence à courir à compter de l’expiration de l’engagement collectif de conservation (qui va donc jusqu’à son terme une fois la donation intervenue ou la succession ouverte).
Point d’attention. L’un des signataires de l’engagement individuel ou collectif de conservation doit exercer une fonction de direction au sein de la société, pendant la durée de l’engagement collectif + 3 années après la transmission des titres.
Fonctionnement du régime fiscal :
- Le Pacte Dutreil permet une exonération de 75% de la valeur des parts ou actions transmises par donation ou succession (a. 787B du CGI)
- Il est cumulable avec l’abattement légal de 100 000€ par enfant tous les 15 ans (art 777 du CGI) mais également avec l’abattement de 50 % des droits dus si le donateur est âgé de moins de 70 ans au moment de la transmission (art 790 du CGI)
- Exemple chiffré :
Pour une donation d’une société valant 10M€ :
-> avec Pacte Dutreil valable en cours au jour de la transmission : les droits dus par un enfant héritant des droits seraient de 332.678 € (avec application de l’exonération de 75%, de l’abattement de 100.000€ et de la réduction de droits de l’article 790 du CGI).
-> sans Pacte Dutreil : les droits dus par un enfant héritant des droits dans la société seraient alors de 1.989.894 € ! Un motif suffisant pour que l’enfant se retrouve obligé de vendre l’entreprise…et ce dans l’urgence, compte tenu des délais de paiement des droits mais aussi pour éviter une perte de valeur potentiellement importante dans l’intervalle.
Fonctionnement en cours de Pacte :
- Des titres sous Pacte peuvent être apportés à une société Holding pendant l’ECC
- La société dont les titres sont directement ou indirectement transmis doit remettre plusieurs attestations
– au jour de la transmission des titres, une attestation certifiant que l’ECC est en cours et que les seuils de détention ont été observés jusqu’à cette date ;
– postérieurement à la transmission à titre gratuit, une attestation soit en réponse à une demande de l’administration, soit spontanément à l’issue de la période individuelle de conservation des titres
- Remise en cause :
L’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit est susceptible d’être remise en cause lorsque l’ECC ou l’EIC n’a pas été respecté du fait de :
– la cession à titre onéreux des parts ou actions de la société (hors cas de cession entre signataires) ;
– du non-respect des conditions de seuils à un moment quelconque pendant la durée de l’engagement ;
– de l’apport des titres soumis à engagement (sauf exceptions) ;
– la condition liée à la durée minimale de l’exercice d’une fonction dirigeante au sein de la société n’a pas été respectée.
Dans ce cas, le(s) bénéficiaire(s) sont alors tenus d’acquitter le complément de droits de mutation à titre gratuit, majoré de l’intérêt de retard.
Dans le cas où le cessionnaire ou le donataire serait un autre signataire de l’engagement collectif, l’exonération partielle n’est remise en cause qu’à concurrence des titres cédés ou donnés, ceux conservés par le cédant n’étant pour leur part pas affectés.
Cas particuliers :
Holding interposée non animatrice :
Dans les cas où la société opérationnelle est détenue via une société holding et que la qualification de société holding animatrice ne peut pas être retenue, l’exonération de 75% des droits de mutation à titre gratuit peut toutefois être appliquée lorsque la société a la qualité de « société interposée ».
Pour cela, elle doit détenir la société éligible dans la limite de deux niveaux d’interposition.
- L’engagement collectif est pris par la société interposée et porte sur les titres de la société opérationnelle.
- L’engagement individuel de conservation porte ici sur les titres de la société interposée qui ont fait l’objet de la transmission. Néanmoins, la fonction de direction doit être effectuée au sein de la société opérationnelle.
- L’exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit ne portera que sur la fraction de la valeur des parts de holding pure dans le capital de la société éligible, objet de l’engagement collectif.
- Le nombre de titres détenus doit rester inchangé à chaque degré d’interposition durant l’ensemble de la durée des engagements collectif et individuel.
- L’interposition d’une seconde Holding ou l’apport des titres sous engagement à une société en cours d’engagement est possible sous conditions
Holding animatrice :
Les sociétés holdings animatrices sont considérées comme des sociétés opérationnelles, exerçant une activité commerciale, elles peuvent dès lors bénéficier du dispositif Dutreil. Pour cela, elles doivent participer à la conduite de la politique du groupe ou fournir des services administratifs, financiers, comptables ou encore juridiques à leurs filiales. Si la holding exerce simultanément une autre activité non éligible, l’activité principale devra être celle d’animation.
Pactes Dutreil « de rattrapage » :
En cas de décès sans engagement (e.g. société unipersonnelle) : un engagement peut être réputé acquislorsque le donateur a, durant au moins les deux années précédant la transmission des titres, respecté les conditions de seuils et de fonction de direction. Le régime du réputé acquis est également applicable en cas de détention indirecte, mais dans la limite d’un seul niveau d’interposition.
Si aucun engagement n’est pris avant le décès du donateur : les héritiers ou légataires peuvent conclure un engagement collectif de conservation dans les six mois suivant le décès (on parle alors d’engagement post mortem).
Et la location meublée dans tout ça : éligible ou non éligible à ECC ?
La réponse est officiellement NON, depuis la Loi de Finances pour 2024 (c’est-à-dire la dernière Loi de Finances à ce jour).
Après deux arrêts essentiels de la Cour de Cassation (1er juin 2023) et du Conseil d’Etat (29 septembre 2023), ouvrant la voie des Pactes Dutreil à l’activité de loueur en meublé, l’administration fiscale a décidé d’inciter le législateur à réagir. Chose faite.
Les locations meublées sont ‘définitivement’ considérées comme des activités exclues du champ des activités éligibles à Pacte Dutreil.
D’un point de vue droit fiscal, cela se discute néanmoins et nourrit moult débats doctrinaux. Le droit fiscal ne considère-t-il pas cette activité comme relevant des bénéfices commerciaux … ?
Au-delà de cette question, divers députés relancent régulièrement le débat d’une suppression et/ou d’une limitation des effets du régime Dutreil. Il représente donc, tant aujourd’hui que depuis sa création le 1er août 2003 (loi n° 2003-721), un dispositif d’actualité. Encore dans le cadre des débats de fin d’année 2024, de nombreux amendements ont matérialisé des tentatives de retouches, voire de suppression du dispositif.
Les Pactes Dutreil, devenus complexes et nécessitant une rédaction fine, ont néanmoins fait l’objet d’assouplissements récents bienvenus.
Ces Pactes sont un outil fondamental de notre arsenal juridique, permettant de transmettre et conserver des entreprises familiales, il serait regrettable que notre pays y renonce.